ISMAEL LO, MUSICIEN ET MEMBRE DU JURY DES JCC 2008 : “ Les Etats africains aident peu le cinéma... ”

Etre membre d’un jury long-métrage n’est pas une sinécure. Le chanteur Ismaël Lô en sait quelque chose, lui qui siège dans le jury officiel des 22èmes Journées cinématographiques de Carthage.

TUNIS - « Nous avons quatre films à voir par jour, à 11h, 15h, 18h et 21h. Mais, c’est quelque chose d’exaltant », nous a confié Ismaël Lô, lundi après-midi, juste après la projection de « Captain Abou Raed », un film du Jordanien Amin Matalqa qui raconte l’histoire troublante d’un vieux balayeur de l’aéroport d’Amman. « Il y a une bonne ambiance dans notre jury où l’on retrouve des personnes expérimentées comme la comédienne française Emmanuelle Béart, la réalisatrice nigérienne Rahmatou Keïta, le cinéaste tunisien Nouri Bouzid, etc. Moi-même j’ai été membre d’un jury officiel au Festival de Namur et je sais qu’il n’est pas toujours facile de juger le travail des autres. Le plus difficile sera d’ailleurs de décerner le Tanit d’or samedi prochain », nous explique Ismaël Lô que nous avons rencontré à l’hôtel Africa où logent les membres du jury, au cœur de la grouillante avenue Habib Bourguiba.

Entre lui et le cinéma, c’est une histoire d’amour qui se poursuit depuis qu’il a incarné le rôle de « Tirailleur harmonica » dans « Camp de Thiaroye » de Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow. Il en garde un excellent souvenir : « C’était un moment magique et je rends hommage au regretté Sembène qui, non seulement m’a permis de jouer dans son film, mais m’a également confié la composition de la musique originale », poursuit-il. Plus tard, il a joué dans deux autres films : un rôle principal dans « Afrique, mon Afrique » de Idrissa Ouédraogo (dont il a également signé la BO) et dans « Tableau Ferraille » de Moussa Sène Absa où il tient également le rôle principal masculin. « C’est grâce à un ami, Raymond Chevalier, que j’ai rencontré Idrissa Ouédraogo et joué dans son film. Et tous ces cinéastes africains avec qui j’ai eu à travailler, à l’instar de Moussa Sène Absa ou de Sembène, m’ont ouvert les yeux sur les réalités du septième art et m’ont permis de tenter une autre expérience très différente de la musique », poursuit le chanteur.

En côtoyant le monde du cinéma, il s’est rendu compte qu’il est plus difficile d’incarner un rôle que de se produire sur scène en tant que musicien. « C’est vrai que pour entrer dans la peau d’un personnage, il faut avoir du charisme, une bonne expression corporelle et du talent. Et puis, quand je fais ma musique, je suis le leader alors que dans le cinéma, il faut accepter d’être dirigé artistiquement. Le cinéma demande plus de temps et de patience. C’est un peu comme lorsqu’on tourne un clip. Il faut choisir le bon moment dans la journée pour avoir une bonne lumière », explique Ismaël Lô. Le cinéma, analyse-t-il, est une autre forme d’écriture, un art qui permet d’immortaliser des histoires, des émotions et des moments très forts.

FAIRE DES FILMS DE QUALITE

Lui qui a de nombreux amis cinéastes, constate avec désolation l’état de délabrement dans lequel se trouve le septième art africain. Peu de films sont produits par an et les salles ferment ou sont transformées en centres commerciaux ou lieux de culte. « A mon avis, les dirigeants africains minimisent l’impact du cinéma africain qu’ils considèrent juste comme de l’art alors que c’est une véritable industrie. Il faut que les Etats mettent des moyens importants pour permettre aux réalisateurs de faire des films de qualité capables de rivaliser avec ce qui se fait de mieux dans les autres pays », poursuit-il. Il pense aussi que les professionnels doivent prendre exemple sur ce qui se fait dans des pays comme l’Inde ou le Nigeria qui sont parvenus à mettre sur pied une véritable industrie cinématographique. « Maintenant, le problème est de savoir s’il faut confiner nos réalisateurs dans l’utilisation du numérique. Pour moi, il faut aussi un cinéma en 35 mm qui répond aux standards de qualité, mais cela nécessite de gros moyens. Le numérique est une des solutions pour développer le cinéma africain, mais ce n’est pas la solution », fait-il remarquer.

L’autre mal qui gangrène le secteur cinématographique africain, c’est la rareté des salles de projection, la quasi-absence des circuits de diffusion et de distribution. « Il est désolant de constater qu’une grande ville comme Dakar n’a presque plus de salles. Aujourd’hui, avec les DVD, les gens préfèrent regarder des films chez eux même si les images et le son ne sont pas toujours de bonne qualité. C’est dommage car il n’y a rien de tel que d’être devant un grand écran dans une salle obscure. Et puis cela permettait, le soir, de sortir avec toute sa famille », déplore Ismaël Lô. Le fait de côtoyer des cinéastes va-t-il le pousser à passer, un jour, de l’autre côté de la caméra pour signer la réalisation d’un film ? « J’y pense et j’avoue que cela me tente. J’adore l’image et il y a quelques années, lorsque j’habitais les HLM à Dakar, j’avais mis en scène et filmé mes enfants qui ont joué une comédie. Mais je ne suis jamais allé plus loin que ça. Peut-être que je vais m’y mettre un jour et tenter de réaliser un film », confesse Ismaël Lô. Pour le moment, à Tunis, il joue bien son rôle de membre de jury des 22èmes Journées cinématographiques de Carthage.

Modou Mamoune FAYE (Envoyé spécial)