« MERE-BI », DOCUMENTAIRE D’OUSMANE WILLIAM MBAYE : Lettre d’amour à ma mère Annette Mbaye d’Erneville, la journaliste, la militante des causes sociales et la pionnière des luttes pour l’émancipation des femmes africaines. C’est ce portrait qu’a dressé le réalisateur Ousmane William Mbaye sur cette grande dame qui est sa mère. TUNIS - Le documentaire « Mère-bi » (La mère) réalisé par Ousmane William Mbaye sur Annette Mbaye d’Erneville, n’est pas uniquement le portrait intimiste d’une mère par son fils. Ce film de 55 minutes, en compétition officielle dans la section Vidéo aux 22èmes Journées cinématographiques de Carthage, dévoile un pan entier de la vie culturelle, sociale et politique du Sénégal de ces cinquante dernières années. En dépoussiérant les souvenirs de celle qui est la première femme journaliste du pays, le réalisateur nous invite à un flash-back sur des faits qui ont marqué le peuple sénégalais et ont contribué à forger la nation, à changer son destin, comme les fameux évènements de 1962 qui ont entraîné la rupture entre deux personnalités politiques aux ambitions divergentes : Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia. « Ma mère a traversé trois générations aussi bien sur les plans politique, social que culturel. Elle est également l’incarnation de ce métissage des cultures dont parlait Senghor », nous a confié Ousmane William Mbaye, mardi soir, juste après la projection du documentaire à la salle Quatrième Art de Tunis, sur l’avenue de Paris. Avec sa caméra, pendant près de quatorze ans, il a suivi sa mère au point de l’agacer parfois, comme sur cette image au début du film lorsque cette dernière se demande quand le tournage va enfin s’achever. A 82 ans, Annette Mbaye d’Erneville est toujours alerte dans ses réparties, danse comme une jeune fille au son de la musique de Yandé Codou Sène et parcourt le monde pour, par exemple, rendre visite à sa fille aux USA, même si son âge ne lui permet plus de voyager comme avant. Née à Sokone (Sénégal) en 1926, d’un père issu de la famille des d’Erneville, mulâtres saint-louisiens, et d’une mère sérère, elle a passée une bonne partie de sa jeunesse à Saint-Louis, aux côtés de ses deux tantes. Elle avait eu le malheur de perdre sa mère à l’âge de 12 ans et grandit aux côtés de ces deux femmes qui lui ont inculqué une bonne part de son éducation à la saint-louisienne. « C’est aux côtés d’elles que j’ai appris à bien parler le wolof », raconte-t-elle. Puis, elle part à Paris où elle devient reporter de radio après avoir passé avec brio un concours de journalisme. « Je fus reçu major de ma promotion », précise-t-elle avec fierté. C’est à Paris qu’elle a rencontré son mari Ndakhté Mbaye, à l’époque jeune étudiant sénégalais, et où sont nés ses deux premiers enfants, dont le cinéaste Ousmane William Mbaye en 1952. C’est à Paris où elle a également fait ses premiers pas dans l’univers culturel et où elle a connu des personnages mythiques comme Yves Montand et Simone Signoret. Quelques années plus tard, c’est le retour au pays où lui parvenait l’écho des luttes pour l’indépendance. Et la voilà devenue institutrice à l’intérieur du Sénégal, avant de revenir au journalisme qui la passionne tant. C’est tout ce vécu trépidant que raconte son fils Ousmane William Mbaye dans ce film tourné au Sénégal, en France et aux Etats-Unis, et pour la réalisation duquel il affirme n’avoir reçu « aucun sou de l’Etat sénégalais ». Sa caméra s’est tellement incrustée dans l’univers de sa mère qu’elle finit (la caméra) par se faire oublier. « A la maison, on ne me prenait même plus au sérieux tellement on avait l’habitude de me voir filmer ma mère. On ne faisait plus attention à moi », explique-t-il. C’est ce « détachement » des sujets filmés qui donne un cachet familial et sympathique au documentaire. Très décontractée, Annette Mbaye d’Erneville n’hésite pas à évoquer sa vie privée, comme ce divorce à l’âge de 37 ans qui l’a visiblement marquée. CARACTERE DE BATTANTE Il lui fallait en effet élever ses enfants, seule, tout en faisant face à ses obligations professionnelles. Son ex-mari, qui témoigne dans le film, voulait qu’elle retourne à sa profession d’enseignante alors qu’elle ne jurait que par la radio. Ce divorce a fortement contribué à forger son caractère de battante et de militante des causes féminines. Pas féministe du tout, l’ancienne formatrice à l’école de journalisme de Dakar elle ne manque pas d’humour lorsqu’elle dit : « Nous les femmes, nous avons besoin des hommes, ne serai-ce que pour faire des enfants ». Elle a été au début de nombreuses initiatives dont la Fédération des associations féminines du Sénégal (FAFS), le Musée Henriette Bathily de Gorée dédié aux femmes, des revues féminines, culturelles, et les fameuses Rencontres cinématographiques de Dakar (RECIDAK). Faire un film sur sa mère n’est pas si facile qu’on le pense. Pendant des années, Ousmane William Mbaye a accumulé les prises de vues jusqu’à se retrouver avec 150 heures d’images. Il fallait « dérusher » tout cela, procéder à un choix avant de se lancer dans le montage. Un travail qu’a bien réussi la monteuse Laurence Attali sur une période de cinq mois. « Le montage nous a pris énormément de temps d’autant plus qu’il fallait numériser tout cela », explique-t-elle. Le film, dont la musique est composée par le génial Doudou Doukouré, utilise aussi des images d’archives aussi bien sonores qu’audiovisuelles, à l’instar de celles sur les évènements de 1962. Il y a aussi de vieilles photos de la famille Mbaye où l’on voit de grandes figures politiques, culturelles et religieuses comme Senghor, Mamadou Dia, Césaire, Cheikh Anta Diop, Alioune Diop, Frantz Fanon ou le premier khalife général des mourides, Serigne Falilou Mbacké. Même si elle est catholique, Annette Mbaye voue une foi et un profond attachement au fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba, comme le témoigne un de ses amis. Des témoignages sur elle, il y en a à profusion dans le film : l’ancien directeur général de l’UNESCO, Amadou Makhtar Mbow, l’écrivain Cheikh Aliou Ndao, le cinéaste Ben Diogaye Bèye, ses enfants, ses petits enfants, ses anciennes camarades de l’Ecole Germaine Legolf et tous ces anonymes qui fréquentent sa maison de Dieuppeul devenue du coup un repaire de bohèmes. « Je suis plus cigale que fourmi », plaisante Annette Mbaye d’Erneville qui, à 82 ans, a su conserver une formidable joie de vivre. A un âge où elle devait jouir d’un repos bien mérité, elle rêve de créer une imprimerie et de relancer sa revue cinématographique. Une belle leçon pour les nouvelles générations. De notre envoyé spécial MODOU MAMOUNE FAYE |