CNCI
JCC 2023

Hommages

Heni Abu Assad

Hany Abu Assad, Cinéaste des héros du quotidien


Le réalisateur palestinien Hany Abu Assad, connu notamment pour son film "Omar" qui a remporté le Tanit d'or aux Journées Cinématographiques de Carthage en 2014 et "Paradise Now" qui a raflé le Golden Globe Award du meilleur film étranger en 2006 ainsi que pour les deux nominations de "Paradise Now" et de "Omar" pour représenter la Palestine aux Oscars du meilleur film en langue étrangère, fait partie des figures les plus marquantes du "Nouveau Cinéma Palestinien", cinéma qui a cherché à dépeindre les préoccupations du peuple palestinien en s’appuyant sur des personnages pétris de fragilité humaine et de contradictions.

Né à Nazareth en Palestine le 11 octobre 1961, Hany Abu Assad s’installe aux Pays-Bas en 1980 où il poursuit des études supérieures dans le domaine de l'ingénierie aéronautique. En 1990, il décide de faire ses premiers pas au cinéma en fondant "Ailoul Production ", une boîte spécialisée dans la production cinématographique et débute sa carrière en 1992 avec "Paper House" un court-métrage primé dans plusieurs festivals internationaux. Suivirent d’autres films tels que son premier long-métrage, "The Fourteenth Chick" en 1998, suivi de "Nazareth 2000" en 2000, "Ford Transit ", "Rana’s Wedding", "Paradise Now", "Omar" et "Le piège de Huda". Quant à son expérience hollywoodienne, elle comprend deux films : "The specialist" en 2012 et "La Montagne entre nous" en 2017.

La spécificité du cinéma d’Abu Assad réside dans l’interrogation de la réalité palestinienne, puis sa transformation en histoires cinématographiques qui, en dépassant les clichés stéréotypés antérieurs des combattants "Fidayine" toujours victorieux, révèlent et témoignent de l’humanité d’un peuple qui se bat contre une occupation israélienne des plus féroces et des plus oppressives. Il dit à ce propos : "Nous avons perdu la terre et notre contrôle sur la terre, il ne reste donc plus qu’à protéger la cause, protéger le récit et protéger notre histoire".

Ses films reflètent généralement l'ampleur de l'injustice à laquelle le peuple palestinien est confronté depuis le début du processus de dépossession de ses terres en 1948, en s'inspirant de faits réels ou de sujets considérés tabous, comme le film "Le piège de Huda" (2021) qui raconte l'histoire de Huda, propriétaire d'un salon de coiffure qui recrute ses victimes parmi les clientes de son salon pour en faire des agents au service des renseignements israéliens.

D’une façon plus générale, les films de Hany Abu Assad donnent au spectateur la possibilité de découvrir l'étendue des drames de l'occupation israélienne et la force des résistances individuelles et collectives à travers un langage cinématographique qui accorde de l’importance au rythme et au cadrage, mais aussi avec une argumentation narrative qui donne de la puissance à l'intrigue dramatique tout en insistant sur les particularités de l'espace géographique assiégé par les blindés, les barrages de contrôle et les différents moyens de surveillance et de répression.

Grâce à sa diffusion dans les cinémas arabes et occidentaux et sur diverses plateformes numériques, le cinéma d’Abu Assad offre une visibilité à un peuple qui vit dans en état de siège et qui souffre d’un embargo médiatique des plus durs. Les prix remportés par ses films constituent une reconnaissance et des victoires précieuses qui viennent défier la domination et les violations israéliennes en terre de Palestine.

La 34ème édition des Journées Cinématographiques de Carthage rend hommage au réalisateur palestinien Hany Abu Assad pour sa persévérance à présenter des récits visuels soulevant des questions existentielles d’héros palestiniens dans leur vie quotidienne. Ses films reflètent également l’atrocité des exactions israéliennes et son impact sur la vie d’un peuple qui ne désire que se libérer du joug de l’occupation.

Ababacar Samb Makharam

Ababacar Samb Makharam, défenseur des cinémas africains


Considéré parmi les pionniers du cinéma africain, le nom du cinéaste sénégalais Ababacar Samb Makharam est associé au militantisme pour l’indépendance des cinémas d’Afrique. A la fois réalisateur authentique et engagé, Samb considérait le cinéma comme un outil de libération des pays africains, « l’arme complémentaire du révolutionnaire, c’est la caméra » disait-il. Ses films comme ses combats laissèrent des traces indélébiles d’un parcours d’exception.

Né le 21 octobre 1934 à Dakar, Samb intègre le conservatoire d’art dramatique de Paris en 1955. Une année plus tard, il fonde la troupe théâtrale "Les griots" avec Sarah Maldoror, Toto Bissainthe et Timité Bassori et décroche en parallèle plusieurs rôles dans des films tels "Les tripes au soleil" ou "Tamango ". Il décide ensuite de partir en Italie étudier le cinéma au Centre expérimental de Rome, école fondée par Roberto Rossellini. Son film de fin d’études, réalisé en 1961 et intitulé "L’Ubriaco", traite du déracinement et des valeurs africaines à travers l’histoire d’un jeune qui se détourne de sa compagne européenne pour soliloquer avec une statue africaine.

De retour au Sénégal en 1964, Samb travaille à la radio comme producteur et réalisateur de l’émission "portrait d’un écrivain". Suivirent trois films en tant que professionnel du cinéma. D’abord "Et la Neige n’était plus" (1965), un film qui relate le dilemme d’un étudiant qui, de retour au pays natal, se trouve tiraillé entre tradition et modernité. Ce film fut récompensé par le premier prix du court-métrage au premier Festival des Arts Nègres qui s’est tenu à Dakar en 1966.

Puis son premier long-métrage "Kodou" (1971), une adaptation d’une nouvelle écrite par la première femme journaliste sénégalaise Annette Mbaye d’Erneville. "Kodou", que Samb qualifie d’« allégorie de la condition africaine contemporaine », relate l’histoire d’une jeune fille qui sombre dans la folie après avoir offensé les traditions séculaires du village et dont sa famille tentera de la faire guérir d’abord par des moyens modernes puis par des rites traditionnels. Le film fut primé par plusieurs prix dont le prix Georges Sadoul à Paris.

Enfin "Jom" (1981), un mot wolof qui veut dire à la fois dignité, honneur, courage et respect. "Jom", un film à sketches, raconte trois histoires dont les personnages sont historiques et relèvent d’époques différentes (1900, 1935, 1980). Le film qui traite du thème central de la résistance : résistance à la colonisation, résistance à l’exploitation et résistance moderne par la grève, fut sélectionné dans "La semaine de la critique" lors du festival de Cannes en 1982.

Pour parer à l’effacement de sa mémoire, sa fille Ghaël Samb Sall fait paraître en 2022 un livre "Ababacar Samb Makharam : Maître d’œuvre et Esthète du Cinéma Panafricain». Dans la préface du livre, le cinéaste Alain Gomis appelle à replacer Samb dans l’histoire du cinéma sénégalais pour la sincérité de ses films, pour son engagement pour l’indépendance du cinéma africain et sa foi dans le rôle du cinéma. Gomis estime que « le cinéma de Samb est un cinéma de conscience, de prise de conscience. Il est politique, bien sûr, engagé, mais il s’impose par sa rigueur, son honnêteté, presque son objectivité ».

Par son engagement au sein de la Fédération Panafricaine des Cinéastes (la Fepaci), dont il fut le secrétaire général depuis son élection à Tunis en 1970 jusqu’à 1976, Samb a mené des luttes pour briser les frontières entre l’Afrique du nord et l’Afrique du sud du Sahara en faveur d’une meilleure circulation des films dans l’espace africain et pour la mise en place de financements communs Sud-Sud de la culture. Il participa aussi à la création du festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (le Fespaco).

Un autre combat lui tenait à cœur, celui de la culture comme voie d’émancipation. Samb croyait, en effet, en la puissance de la culture à libérer les peuples de toute sorte d’oppression. Il recherchait par ailleurs une esthétique cinématographique qui serait proche des valeurs esthétiques de l’Afrique. « Je ne suis pas nourri de l’art grec mais de de l’art africain, du masque » aimait-il à répéter.

Avant de quitter ce monde un 7 octobre 1987 à l’âge de 53 ans, Ababacar Samb rêvait, malgré sa maladie, de continuer à faire des films. Plusieurs projets étaient encore sur sa table de travail parmi lesquels « Fatima, l’aurésienne de Dakar » devenu « L’enfant du viol » et dont le scénario lui a été offert par Tahar Chériâa, celui qui l’appelait « mon mieux-que-frère », le film sera finalement réalisé par Med Hondo.

Si la trente-quatrième édition des Journées cinématographiques de Carthage rend hommage au cinéaste sénégalais Ababacar Samb Makharam, c’est pour rappeler le leg d’un homme et d’un artiste valeureux. Samb marqua aussi bien le cinéma de son pays par des œuvres authentiques que le cinéma africain par divers combats en faveur de sa décolonisation et de son essor.