L’amour en temps de guerre, l’enfance, à la croisée de l’adolescence, en temps de guerre, la vie en temps de guerre...
«Dans les champs de bataille» est le premier long métrage de la réalisatrice libanaise Danielle Arbid, et l’on peut dire qu’elle prend le spectateur à contrepied, par ce récit sur la guerre civile qui a déchiré son pays, en s’inscrivant en biais, évoquant les choses comme en passant. Mais le cycle «infernal» de la répétition inscrit ce drame au coeur du film plus sûrement que si elle avait pris en compte toutes les balles tirées et les obus qui éclatent, les murs des maisons.
La guerre civile au Liban (les faits se passent en 1983) est montrée, d’emblée, à travers le regard d’un enfant. Une adolescente de douze ans (Lina) que personne ne semble voir et qui, elle, voit tout. Elle n’a pour seule amie que la bonne de sa tante, de dix ans son aînée, qu’elle accompagne dans ses incartades. Et c’est avec elle qu’elle découvre en quelque sorte le monde des hommes. Celui de la sexualité, mais toujours par effraction; car elle est témoin et n’est pas censée regarder.
Mais tout comme son père, plongé dans sa folie du «jeu», égoïste et inconscient, sa mère, enceinte et fatiguée, qui n’a plus l’énergie nécessaire pour la protéger, sa vieille tante qui préfère le poker et les histoires grivoises à sa nièce qu’elle n’écoute pas, Siham, la bonne, n’a cure de cette affection passionnée que la petite fille lui voue.
«Lina» finira par «trahir», par amour; pour ne pas rester seule. Et le piège se referme sur elle.
Quand son père est mort, suite à un règlement de comptes entre malfrats de casino, elle refusera d’aller à l’église. Et il est trop tard pour rattraper Siham qui s’enfuit, enfin libre de vivre pour elle-même.
Danielle Arbid a enfanté une oeuvre très forte. Tout en nuances, en finesse. Et en hardiesse. Ses scènes d’amour sont crues, mais jamais vulgaires; on a presque envie de dire qu’elles sont naturelles. L’horreur de la guerre, la perte de repère des Libanais abandonnés en quelque sorte à la merci de la milice des quartiers, et la manière dont la réalisatrice filme sans complaisance une certaine «caste» qui se permet encore «d’acheter» des jeunes filles pour en faire des «bonnes- esclaves» et qui dépense sans compter, en temps de guerre, sur les tables de jeu est exemplaire en soi. Dans la mesure où ce film: «Maârek Hob» (son titre en arabe dont la traduction exacte serait «Guerres d’amour») explore (et explose) des quotidiens en survie; et que si c’est un film sur la guerre, on y aime aussi, on y rit, on y pleure, parce que la vie ne s’arrête pas, et que son initiation passe forcément par la douleur.
La jeune actrice principale de ce long métrage est tout simplement époustouflante, et la direction des acteurs d’une manière générale est avérée être autrement pertinente.
Danielle Arbid a réalisé auparavant quatre court métrages et un documentaire: «Démolition» (1998), «Le passeur» (1999), «Etrangère» (2002), «Aux frontières» (2002 CM. doc)et «Seule avec la guerre» (film doc 2000).
Samia Harrar