Riche est le focus du cinéma sud coréen présenté par la 21ème session des JCC. Les dix films qui le composent et les six metteurs en scène qu’il présente demeurent, entre influences étrangères et nationalisme culturel, les témoins vibrants d’une cinématographie dynamique que le public tunisien découvrira pour la première fois...
I- Renaissance dans l’après-guerre (de Corée)
Dans un pays comme la Corée, le cinéma ne peut être hors du contexte de l’Histoire...
C’est sous le règne de la dynastie des LI que la Terre du matin a découvert les premiers film de Pathé et Gaumont. Que ce soit sous le régime féodal ou lorsqu’elle était une colonie japonaise durant 35 ans. C’est dans ces conditions qu’est né le premier film coréen « Arirhan ». La seconde guerre démembra le pays de part et d’autre du 38ème parallèle.
L’histoire, ancienne ou contemporaine de ce pays, est très présente dans des films qui témoignent d’un traumatisme encore à vif. Ainsi, un film considéré comme un chef d’œuvre du cinéma coréen, Une Balle perdue réalisé par Yoo Hyeon-mok en 1961, montre le sort de deux frères rescapés de la guerre de Corée mais réduits à la pauvreté et au chômage. Magnifiquement mis en scène, il dresse le portrait détaillé d’une société gangrenée par la misère, qui pousse l’un des personnages à commettre un cambriolage sans espoir de succès.
Autre grand cinéaste, Shin Sang-ok réalise Les Fleurs de l’Enfer en 1958. Dans cet autre chef d’œuvre, il s’intéresse à un univers où toute morale semble abolie, où le quotidien se déroule entre trafics divers et poussées de violence. Si le réalisateur y mélange pessimisme documentaire du néo-réalisme et violence sèche des films noirs américains des années 1930, il développera par la suite un style beaucoup plus classique, proche du cinéma japonais : évocation de faits historiques comme la biographie d’une pionnière de l’éducation durant l’occupation japonaise (The Evergreen Tree, 1961), ou figures mythiques avec Seon Chunhyang (1961), son interprétation de la fameuse histoire de la fidèle Chunyang, qui sera adaptée 23 fois dans l’histoire du cinéma coréen. Pour autant, les références aux cinématographies européennes ou américaine sont à prendre avec des pincettes, puisque les films étrangers n’ont jamais été monnaie courante dans le pays. Focus des JCC présentera son film L'invité de la chambre d'hôte et ma mère. Ce metteur en scène est sans doute la personnalité la plus fascinante. C’était un gros producteur et réalisateur des années 1950 et 1960, ses films étaient très populaires. Mais il n’était pas du tout en odeur de sainteté avec le régime, qui n’a pas arrêté de le brimer, de passer des lois pour l’empêcher de travailler. Il était à la fois dissident et populaire. Lors d’un voyage à Hong Kong, il a été enlevé avec sa femme, qui était aussi son actrice, par des agents de Corée du Nord, pour aller y réaliser des films. On n’a jamais vu ces films-là, bien sûr. Et puis, il est retourné au Sud, du côté du monde dit libre, quelques années plus tard, à la suite d’un voyage à Vienne. C’est une histoire rocambolesque et pleine d’incertitudes : est-ce qu’il a été enlevé ? Est-ce qu’il s’est enfui parce qu’il en avait assez ? Au Sud, aujourd’hui, malgré sa très longue filmographie et la popularité de ses films, son nom ne met pas à l’aise, il n’est pas considéré comme il devrait l’être. D’ailleurs, aujourd’hui, il vit à Los Angeles où il produit des films. A partir des années 1960, le cinéma de genre va se développer très vite, en produisant des œuvres populaires qui n’ont souvent rien à envier à leurs modèles. On pense en particulier au magnifique A Swordsman in the Twilight réalisé en 1967 par Chung Chang-wha. Film de sabre qui joue d’égal à égal avec les productions de Hong Kong. Dès 1967, il ira travailler là-bas pour la Golden Harvest. Ses films montrent la grande modernité du cinéaste, qui introduit les thèmes de la vengeance et du nationalisme, ainsi que l’ultra-violence du western dans une fable sur fond historique.
II- 1960 : Kim Ki-young, la pulsion est reine
Autre grand cinéaste qui débute dans les années 1960, Kim Ki-young qui n’a pas été tout de suite reconnu comme un auteur. De ses films, La Servante (1960), The Insect Woman (1972), I-Eoh Island (1977) et The Woman of Fire, 82 (1982), sont la preuve d’une œuvre pour le moins cohérente. Cinéaste obsessif, il réalise trois variations sur la même histoire, celle d’une servante abusée par son patron, qui décide de s’imposer dans la maisonnée en tant que seconde épouse, réclamant les mêmes droits que la première, Kim Ki-young semble fasciné par son modèle féminin, variant les tortures et les châtiments avec un délice sadique qui le rapprocherait des grands maîtres italiens tel Mario Bava. La famille bourgeoise est ici violemment remise en cause, et s’écroule progressivement face aux pulsions triomphantes du personnage féminin, qui va lui-même s’effondrer. Entre épouvante, satire, érotisme, mélodrame et parfois comédie, le cinéaste élabore un univers morbide très riche, où un véritable désespoir tient lieu de ligne d’horizon.
III- 1980 : Im Kwon-taek, l’humaniste
Grand maître incontesté du cinéma coréen, Im Kwon-teak, dont Focus des JCC présente trois œuvres, a un parcours des plus étonnants. Il débute dans le cinéma de l’immédiate après-guerre plus par nécessité que par passion, puisque les engagements très à gauche de son père lui ferment de nombreuses portes. Après des années d’assistanat, il réalise ses premiers films dans les années 1960. Avec plus de cent films aujourd’hui à son actif, il est certainement l’un des réalisateurs les plus prolixes de sa génération. En 1973, il réalise La Veuve abandonnée, une histoire inspirée par la vie de sa mère qui est pour lui son premier véritable film. Malgré l’échec commercial, la critique reconnaît le talent du cinéaste, ce qui lui permettra de poursuivre plus avant. À travers les trois films présentés dans cette session des JCC - Sibaji (la mère porteuse), La fille de feu, Le ticket -, on peut connaître Im Kwon-teak puisqu’il est un inventeur de formes dont l’imagination ne s’est jamais épuisée jusqu’à présent.
Cinéaste engagé, non dans la politique, mais dans une certaine tentative pour comprendre l’être humain dans sa complexité psychique, sociale et humaine, il est l’auteur d’une filmographie en forme de portrait riche et touchant de la société coréenne, d’une œuvre d’une grande sagesse, sincèrement humaniste, qui explique sa reconnaissance internationale.
IV- 1990 : la nouvelle génération
Les années 1990 marquent l’apparition de nouveaux cinéastes, reconnus dans le monde grâce aux festivals tel Hong Sang-soo qui réalise Le Jour où le cochon est tombé dans le puits présenté dans cette rétrospective. Très inspiré par la Nouvelle Vague européenne, ce film est immédiatement adoubé par la presse française, qui fera un triomphe à ses autres films, dont Le Pouvoir de la province de Kangwoon (1998) présenté lui aussi aux JCC. Cinéaste du spleen et de la mélancolie, Hong Sang-soo utilise souvent des constructions de récits originales : dans ce film, deux personnages qui viennent de rompre vont faire le même voyage simultanément, mais vivre deux expériences très différentes. Comme raconté en mode mineur, sans jamais appuyer, le film nous fait voyager avec les personnages dans une forêt envoûtante, au fil d’un parcours mental et déambulatoire.
Le cinéma coréen avait à une époque la réputation de copier ses voisins, de Hong Kong ou du Japon, d’être une cinématographie un peu « bis ». Mais il y a quelque chose qui n’appartient qu’à lui et à lui seul : c’est que ses histoires sont liées à l’Histoire. C’est un cinéma sur l’énergie violente, sur la vitalité. On a le sentiment qu’il fonctionne beaucoup sur la rétention et la libération. On voit bien que c’est lié à l’Histoire de la Corée, à la coercition politique qu’a connue le pays pendant trente ans. C’est quelque chose qui relève du cinéma coréen lui-même, qui est plus un cinéma de l’énergie qu’un cinéma du plan ou de la composition. La matière première du cinéma coréen, c’est l’énergie, depuis ses mauvais côtés (l’hyper-violence), jusqu’à la force de vie.
Ce ne ont là que quelques pistes pour aborder cette très riche cinématographie coréenne dont le public tunisien ignore beaucoup. C’est là une occasion de découvrir de très beaux films, mais aussi à travers eux l’histoire d’un pays, l’occasion unique d’un voyage dans le temps et l’espace d’une Corée rendue à sa complexité.
(librement adapté d’un texte de Jean-François Rauger )
Focus Cinéma Sud Coréen*:
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Amour fou (L') Yi Myong -Se
- Chilsu et Mansu de Park kwang-su
- La fille de feu de Im Kwon-taek
- Gens de bidonville de Bae Chang-ho
- Le chemin qui mène à Chung-Song (Yi Tu-Yong)
- My Sassy Girl (Kwak Jae-Yong)
- Sentiments (Chang Ho)
- Le jour ou le cochon est tombe dans le puit de Hong Sang-soo
- la mère porteuse de Im Kwon-taek
- Musée à côté du Zoo (Le) Lee Jeong Huang
- Le pouvoir de la province de kang-won de Hong Sang-soo
- Le ticket de Im Kwon-taek