C’est pourquoi à la différence de ses voisins maghrébins qui, pour des raisons diverses, furent tentés suivant les périodes par une veine "épique" ou par une veine "populiste", ces deux catégories sont pratiquement absentes de la filmographie tunisienne où dominent les "films d’auteur". Des films souvent très différenciés les uns des autres (les choix esthétiques d’un Nacer Khemir n’ayant rien à voir, par exemple, avec ceux de Nouri Bouzid). A tel point que, malgré un "air de famille" général et des recoupements évidents, on a pu dire que pratiquement chaque réalisateur tunisien représentait une "école" à lui tout seul. Cette liberté de choix a été favorisée par le fait que la Tunisie possède également une censure cinématographique (différente de la censure télévisuelle) qui est indubitablement une des plus souples du monde arabe : des scènes qui sont interdites dans d’autres pays arabes et qui y sont coupées quand les films tunisiens y sont projetés révélant la célébration de la nudité féminine ("Halfaouine"), l’homosexualité ("L’Homme de cendres"), l’opposition politique ("Les Sabots en or"), le tourisme sexuel ("Bezness"), la misère des quartiers déshérités ("Essaïda", "Poupées d’Argile"), le droit à l’épanouissement sexuel de la femme ("Fatma", "Satin rouge") ont été finalement acceptées par la censure tunisienne dès lors qu’elles jugées nécessaires à la cohérence de l’œuvre.
Tous ces facteurs (un large public "cinéphile" et une liberté d’expression), ainsi que le rejet économique du "tout étatique" au profit du soutien au secteur privé, permettant l’émergence de producteurs particulièrement dynamiques malgré les difficultés inhérentes au marché, (tels Ahmed Bahaeddine Attia (Cinétéléfilms), Hassan Daldoul (Touza Films), Abdelaziz Ben Mlouka (CTV), Nejib Ayed (Rives Productions), Lotfi Layouni, Selma Baccar et aujourd’hui Dora Bouchoucha, Ibrahim Letaïef, Nejib Belkadhi, etc.) ont abouti, durant la décennie 1986-1996, à une sorte d’"âge d’or" pour les créateurs et le public.