BAARA ( LE TRAVAIL )(Mali) - JCC : 1978 - 115 min


Souleymane Cissé




Depuis Sembène Ousmane et Med Hondo, Souleymane Cissé est un des rares cinéastes africains, africain d’Afrique noire, à avoir réellement imposé sa marque dans le petit monde clos du cinéma occidental. Baara connut une première carrière festivalière en 1978, grâce aux rencontres de Carthage, où il manqua de peu le Tanit d’or, puis en 1979 à Locarno et au Fespaco de Ouagadougou où il obtint le Grand Prix. Baara (le Travail) s’ouvre et se clôt sur une même image de migrants quittant la campagne pour tenter leur chance à la ville. Une femme est renvoyée par son époux. L’action peut commencer. Le décor est planté : la ville - nous sommes au Mali, - un monde grouillant, la débrouillardise permanente, la police omniprésente qui vous arrête sans rime ni raison. Les protagonistes entrent en scène : un jeune ingénieur et sa femme, qui se sont connus en France ; le patron, qui « bigle « à force de compter ses sous ; des ouvriers qui travaillent dans sa filature ; un porteur, ami de l’ingénieur. Ancien élève du VGIK de Moscou, Souleymane Cissé plaque de manière assez aléatoire un schéma marxiste de lutte des classes en puissance. Et, pour mieux arrondir son tableau, il multiplie les saynètes, les détails de mœurs. Il fonde même tout son récit sur la peinture d’une société qui s’occidentalise et en subit le choc. Les anciennes structures sont remises en question. Un meurtre tout à fait banal, digne d’un mélodrame européen - le patron jaloux étrangle son épouse adultère - et c’est un des meilleurs moments du film, sert de conclusion. Souleymane Cissé montre des personnages qui sont tous mal dans leur peau, sauf les deux ravis, l’ingénieur et son ami le porteur, qu’unissent encore les liens traditionnels de la vie rurale. Finyé (le Vent), en 1983, allait l’imposer, en décrivant cette fois, par-delà les clans, le conflit des générations. La maîtrise de l’outil est totale, la tentative audacieuse : concilier le langage du cinéma occidental avec une thématique purement africaine. A ses meilleurs moments, Baara prend des allures d’inventaire sociologique. Il serait tragique que, dans cette époque de crise aiguë pour le cinéma africain, tourne court une carrière si ambitieuse.

Par LOUIS MARCORELLES
(Extraits)

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