Hamza Ouni
La subversion de la forme filmique est empreinte de techniques cinématographiques éprouvées. Dans el Gort, le réalisateur combine la brutalité du verbal aux gestes pour souligner l’absurdité de la condition sociale de ses deux personnages. Ainsi, les mots s’installent pour définir la vraie nature des choses sans se soucier des convenances sociales et morales…
Le film revendique d’emblée son caractère subversif afin d’accréditer un discours véridique comme transposition de la réalité de deux jeunes tunisiens : nous sommes bien dans l’objectivité du discours. Ainsi, le réalisme filmique correspond à la réalité des personnes devenues des personnages.
L’engagement du réalisateur était à la fois moral et cinématographique : lui-même issu de ce quartier de la Mhamdia voulait raconter une histoire qu’il connait bien, celle de « ses potes du quartier » et non pas se documenter sur eux. Dans « El Gort », l’espace prend une ampleur considérable dans la mesure où une grande partie du film s’articule dans des espaces fragmentaires réduits, notamment à l’intérieur du camion qui contraste avec les espaces ouverts en plein air, qui connotent, d’ailleurs, une pseudo liberté des deux amis.
Dans cet espace réduit, le réalisateur marque « sa place » pour filmer. Il demeure au cours du tournage, un sujet à la recherche perpétuelle d’une « place ». L’intelligence du tournage s’est construite durant les cinq années où le réalisateur suivait les pas de ses deux personnages ; aussi, les prises de vues ne peuvent elles que prendre de la «maturité » dans la mesure où le réalisateur n’attend pas que les choses arrivent, il se trouve dans une exigence perpétuelle de ne pas être pris au dépourvu et d’ajuster son cadre par pure mesure esthétique propre au documentaire.
Dès lors, la place du réalisateur prend toute sa signification dans sa démarche de mise en situation qui donne toute son authenticité aux deux personnages sans artifice cinématographique au niveau du montage.
Par Henda Haouala
(Extraits)
Esthétique du documentaire,
le cinéma tunisien post-révolution
Éditions Presses universitaires de la Manouba, 2017