Alain Gomis
Le film raconte une histoire très simple : celle de Félicité (admirable Véronique Beya Mputu), une chanteuse de bar de Kinshasa, la capitale de la république démocratique du Congo, réputée être l’une des villes les plus dangereuses du monde. Son réfrigérateur tombe en panne (joli running gag), alors Félicité fait venir un réparateur, Tabu (Papi Mpaka), qu’elle reconnaît aussitôt, un peu méfiant. Une forme de transe, de plaisir C’est le type qui se bourre radicalement la gueule tous les soirs dans la boîte où elle chante, puis qui finit la nuit dans le lit de l’une ou l’autre des femmes qui dansent ou boivent là. Un jour, le fils adolescent de Félicité est blessé dans un accident de moto. Elle parcourt la ville en tous sens pour le retrouver. Le film de Gomis présente deux visages qui parviennent parfaitement à se superposer : la réalité quotidienne effrayante et fascinante de Kinshasa (le visage documentaire), et sa réalité rêvée (le visage onirique) – la musique, le chant, l’alcool, les lumières nocturnes, la fumée des cigarettes, etc. Félicité nous entraîne dans une plongée hypnotique qui oppose le trivial de la vie quotidienne dans un pays de misère (y trouver un moteur de réfrigérateur est toute une aventure) et la sublimation de la musique (excitante, lancinante, hallucinogène), l’ivresse de l’alcool qui agite les âmes les unes contre les autres et les aide, grâce à une forme de transe, de plaisir, à échapper à un monde trop insupportable. Une symphonie musicale et visuelle Avec sa directrice de la photo Céline Bozon, Gomis donne des couleurs incroyables à la vie de Félicité, rend la chanteuse romanesque, la métamorphose en un personnage quasi mythologique. Le montage, en jouant énormément sur les répétitions, le ressassement, crée des rimes entre les images de ce magnifique poème, de cette symphonie musicale et visuelle. Parfois, dans cette manière de déifier le profane, on pense à L’Apollonide de Bertrand Bonello. Au milieu du désastre (sanitaire, intime et politique) toujours suggéré, Félicité et Tabu vont vivre une histoire immense, et pourtant si simple, ici aussi, puisqu’elle consistera à prendre l’autre tel qu’il est. Et même, encore mieux, à exiger de lui qu’il ne change jamais. C’est tout de même assez dément de parvenir à décrire concomitamment le jour et la nuit, le paradis et l’enfer. C’est ce que réussit Alain Gomis. Jean-Baptiste Morain.
Par Jean-Baptiste Morain
(Extraits)
Lesinrocks.com