Nacer Khémir
… Avec Les Baliseurs du désert Nacer Khemir avait quelque chose à dire, lui qui a le goût de la fiction et qui s’y aventure en personne. C’est dans un village aux portes du désert, mais dénué d’école, qu’il fait dépêcher son protagoniste, un jeune maître d’école à la silhouette raide et lente qu’il incarne. Nous ne saurons pas grand-chose de lui, sinon qu’il est venu ici enseigner, alors qu’une malédiction avait frappé les hommes du village, partis arpenter les limites du désert. On voit leurs inlassables allers et retours et leurs ombres sur les sables mouvants, tels des fantômes qui rôdent autour du monde des vivants. Le vent fait parfois parvenir jusqu’aux villageois un chant qu’on devine d’une Andalousie révolue.
Sous nos yeux, qu’il tient à garder grands ouverts autant que nos oreilles, Nacer Khemir parsème le film de détails isolés ou récurrents, qui ne laissent pas son récit intact. Il arrive chez lui ce qui arrive chez les conteurs : la métaphore joue sur plus d’un tableau. Les miroirs que brisent les enfants à l’entrée du village, ne leur servent pas seulement à faire pousser un jardin en plein désert. De l’autre côté de ces miroirs-là, il y aurait plus d’une vérité pour brouiller la ressemblance que l’on recherche quand on s’y regarde, comme si on se penchait sur le temps en sa fêlure.
À cette improbabilité dans la rupture, le film intègre une double géographie, celle qu’ouvre et ferme au regard le hors-champ. Bien qu’il rêve de mettre les pieds à Cordoue en traversant la mer, le jeune garçon Houssine pressent que sa destinée sera similaire à celle des baliseurs. Entre le désert qui risque de tout engloutir et le désir refoulé d’une inaccessible mer, les frontières seraient-elles perméables? C’est sur l’impossible suture des deux bords de ce tiraillement géographique que le film met des mots. Et si la parole est ici aux manettes, le cinéaste a celle des Mille et Une Nuits pour marraine. Aux paroles qu’il met dans la bouche de Houssine vient s’associer une économie du verbe qui ménage à bon compte une certaine réserve du sens ; et dans Les Baliseurs du désert il y a une fidélité à cette réserve mais qui se gagne sur le dos de la métaphore.
Par Adnen Jdey
(Extraits)
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