فريد بوغدير
Ciné-Bulles : À quoi attribuez-vous le succès que remporte Halfaouine depuis sa sortie ?
Férid Boughedir : Ce qui arrive à ce film est un peu inespéré. Quand je l’ai écrit, j’ai essayé de parler le plus simplement, le plus honnêtement possible d’une réalité locale. Je croyais faire une œuvre intime en parlant du monde qui m’entoure, de la société nordafricaine vue par le biais du microcosme où vit un enfant. Et c’est parce que le film reflète très fidèlement le mode de vie presque quotidien du quartier Halfaouine, un quartier populaire de Tunis, que même les Japonais l’ont acheté à Cannes. Je m’aperçois que plus on est local, plus on est universel. C’est la spécificité d’une culture qui fait son universalité. Beaucoup de films ont déjà montré une culture locale ; je crois que la force de Halfaouine réside dans le fait qu’il ne le fait pas de façon artificielle. C’est un film à plusieurs niveaux, à plusieurs tiroirs ; l’histoire, qui concerne tous les enfants du monde, illustre le passage de l’enfance à l’adolescence. Seulement, j’ai voulu montrer que ce passage se fait de façon très différente ici par rapport aux autres pays du monde. Pour nous, les hommes maghrébins, lorsqu’on quitte le monde de l’enfance pour intégrer celui des adultes, en fait, on laisse le monde des femmes pour rejoindre celui des hommes. Il s’agit de deux univers extrêmement différents.
Au Maghreb, la société des femmes est très séparée de celle des hommes ; il y a un fossé entre elles. À tel point que chacun de ces mondes a pratiquement sécrété une culture spécifique : les femmes ont, par exemple, un vocabulaire que les hommes n’emploient pas. Les maisons appartiennent aux femmes, les hommes n’y fraient pas car ils risquent de se faire traiter de femmelettes. La rue et les cafés sont le domaine des hommes ; les femmes ne vont pas au café, ne traînent pas lorsqu’elles vont faire les commissions, ne s’installent pas dans la rue. Les deux univers sont différents, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient imperméables. Au contraire, il y a des lieux de passage, mais seul l’enfant a le droit de passer entre ces deux mondes ; il y circule librement jusqu’au moment où l’on juge qu’il est trop grand pour demeurer dans l’univers des femmes.
Par Clément Tapsoba
(Extraits)
Revue CinéBulles