محمد الزرن
Cela commence sur la crise d’Amine, un peintre qui bloque dans sa création. Un jeune adolescent, Nidal, rencontré dans la rue le frappe par ses attitudes et sa vitalité. Il le suit jusque chez lui, à Essaïda. Regard d’un peintre sur un gamin et sur un quartier, regard intérieur d’un aveugle sur le monde, regard d’un cinéaste qui sait avec finesse jouer avec les métaphores pour saisir la réalité, Essaïda est un film de banlieue sensible et grave, un anti-Ma 6T va craquer : il s’impose avec bonheur à l’inverse de ce type de naturalisme qui voudrait nous faire croire que montrer la violence serait parler de la réalité en jouant de dichotomies pour gommer les contradictions. La violence, on la sent dans les ellipses, dans les silences du jeune Nidal, dans son impossibilité de déjouer son destin, dans son errance et sa révolte jusqu’au-boutiste. Et lorsqu’en un magnifique panoramique, la caméra glisse sur les toits d’Essaïda et que l’on entend les rumeurs et les cris de cette banlieue grouillante, nous nous sentons un peu plus proches de ces gens, un peu plus familiers de leur vie, un peu plus tolérants de leur différence. Essaïda n’offre ni slogan ni solution, juste une recherche d’équilibre, comme dans ce plan digne du cinéma d’Ozu où la caméra placée à même le sol joue sur les perspectives pour capter en ligne de fuite Nidal jouant l’équilibriste sur une perche et le peintre un peu gauche qui cherche à communiquer avec lui. Nidal ne se retrouve pas dans les portraits stylisés que fait de lui Amine (les oeuvres sont de Tahar Mgedmeni). L’artiste n’est pas compris. Il sera même rejeté. Difficile rencontre qu’a pourtant réussi un film sans concession qui a su drainer 500 000 Tunisiens dans les salles. Sans doute parce qu’ils ont pu s’y reconnaître alors que, pour une fois, il n’était pas destiné à leur plaire. Belle leçon de cinéma en continuité avec le très beau Casseur de pierres, réalisé six ans plus tôt et découvert en 1990 à Cannes, une fine réflexion en métaphores sur l’émigration. Nous regarder tels que nous sommes : Mohamed Zran renouvelle avec Essaïda, tant dans l’image que dans le récit, sa confiance dans le cinéma et réussit ainsi un regard riche et contradictoire, en phase avec la vie.
Par OLIVIER BARLET
(Extraits)
Africultures.com