صهيب قاسم البري
Il est très visible dès les premières séquences. Le groupe explore de vieilles archives. Les souvenirs fusent et vlan, la lumière s’éteint : un délestage. Ils continuent à la bougie, ce qui donne bien sûr à la scène une dimension mythique. Que le tournage se poursuive ainsi dans d’aussi mauvaises conditions révèle la mise en scène documentaire : faire resurgir de l’ombre un temps ancien, engagé et fondateur. Les quatre compères s’y prêtent volontiers, tenant leur rôle à merveille, avec un évident plaisir et un grand sens de la répartie. Parce que ce sont des acteurs qui croient au cinéma, ce qui se perdrait en spontanéité se gagne en véracité.
Suhaib Gasmelbari ne cherche pas la vraisemblance mais cette subtile émotion qui nous permet de partager leur engagement. Nous éprouvons leur réalité plus que nous apprenons à la connaître, et la connaissons donc sans doute plus intimement. Plus encore, leurs blagues les ramènent et nous ramènent à leur jeunesse et leur lucidité au monde tel qu’il est, où nous n’avons d’autre choix que de résister.
Voici donc un documentaire qui retourne aux sources : comme dans Nanook l’esquimau de Flaherty (1922), la construction ludique du réel permet de toucher à l’essentiel et de mieux ressentir les enjeux. Lorsqu’Ibrahim affirme dans l’émission de radio que le cinéma est un héros « qui peut mourir de sa mort naturelle ou être tué par un traître », les choses sont dites : ils se battent à coups de pellicules contre un régime dictatorial politico-islamiste en un temps où « parler des arbres est presqu’un crime puisque c’est faire silence sur tant de forfaits ! » (Poème de Bertold Brecht cité dans le film). Consulté, le public veut un film d’action. Django Unchained de Quentin Tarantino (2012) fera l’affaire car il met en scène la libération d’un esclave !
Ce sont ces permanents clins d’œil, cet ancrage dans l’Histoire, cet humour décapant, cette bonhomie face à l’adversité, cette joyeuse solidarité, cette impressionnante dignité et cette détermination sans faille qui font de ces vieux cinéastes et partant du film lui-même une scène politique autant qu’une extraordinaire métaphore de la force de l’art face à la barbarie.
Par OLIVIER BARLET
(Extraits)
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