Joana Habjithomas & Khalil Joreige
Parmi la multitude de films courts en provenance du Liban présentés au Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, Cendres de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige fut de ceux qui accompagnent longtemps après que la lumière est rallumée. Nabil rentre de France avec l’urne funéraire de son père comme seul bagage. Selon les volontés du défunt, le fils a promis de disperser ses cendres dans la mer. Mais à Beyrouth, ou la crémation est interdite, un corps se pleure et se veille en famille selon des coutumes religieuses strictes. Pour sauver la face, le clan remplit le cercueil vide du corps bien vivant d’un acteur et entame ainsi une hypocrite mélopée des rituels du deuil, convoquant proches et amis autour d’un ersatz de cérémonie funèbre. Le film donne à voir la complexité d’exister individuellement dans une société libanaise qui ploie
aujourd’hui sous le poids de règles religieuses liberticides. Au-delà des conventions sociales et religieuses, chacun des personnages de Cendres cherche à se réapproprier le corps absent, l’une en touchant l’urne funéraire, l’autre en livrant les derniers mots à un cercueil dont elle connait le secret, Nabil enfin qui revêt le costume de son père défunt. La mise en scène, sobre et d’une infinie finesse, orchestre ce jeu de rôles et de postures quasi nécessaire entre drame et burlesque. Démontant l’absurdité et la tristesse de la situation, elle s’attache aux détails. Lorsque l’apparence se fissure et que la vie s’exprime, par la résistance, å travers des accidents de l’inconscient, une porte qui refuse de se fermer, un lustre qui s’étale au sol ou des mains qui enfin s’étreignent, comme autant d’explosions intimes qui appellent aux changements.
De mémoire et de disparition, il était déjà question dans les deux précédents films documentaires… «Notre problématique est évidemment celle de la représentation de la guerre, la préservation de la mémoire, explique Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Mais nous ne croyons pas à l’accumulation de preuves pour écrire le crime. Le «corps» a disparu, mais nous n’avons rien à prouver, la guerre a eu lieu, la violence était là, nous n’avons pas à montrer cela, nous voulons, juste comprendre»
Par Michel Gondry
(Extraits)
Le magasine BREF