Nacer KHEMIR
La Goutte-d’Or, à Paris, c’est le quartier de l’» Assommoir «, où les personnages de Zola se débattaient dans la mouise de l’époque. Ils logeaient à l’Hôtel Boncœur. La Goutte-d’Or, aujourd’hui, c’est le quartier arabe. On y loue aux travailleurs immigrés de quoi dormir, tandis qu’autour d’eux gronde le racisme des descendants de Gervaise Macquart, à présent concierges et petits commerçants.
En 1971, les attentats racistes se sont multipliés en France, instaurant un climat de haine et de peur. À ce moment-là le Tunisien Naceur Ktari a décidé de faire un film sur l’émigration. Il a passé huit mois à enquêter à la Goutte-d’Or, interrogeant les gens, allant voir les familles. Puis il a écrit un scénario en collaboration avec des camarades immigrés, scénario qui a ensuite été soumis à de nombreux avis, et remanié, pour être le plus fidèle possible à la réalité. Les Ambassadeurs, c’est, en effet, un film de fiction, de reconstitution. Une fois de plus, on a parié sur cet équilibre douteux : Naceur Ktari voulait échapper au public des films politiques - convaincu d’avance - sans cependant faire des concessions au cinéma commercial. Il voulait éviter de donner bonne conscience aux Français, sans cependant tomber dans le manichéisme.
La vraisemblance des personnages est d’ordre économique et social, avec une dimension affective. Ce sont des comportements, des situations qui se succèdent et s’imbriquent à l’intérieur du quartier. D’un côté, les Français, tous racistes - à quelques exceptions près, mais de toute façon le rapport de forces leur est défavorable, dans la réalité et dans le film. L’exaspération, d’abord tapie, latente, monte à son paroxysme (deux assassinats), savamment entretenue et organisée par quelques fanatiques. En face, c’est la communauté arabe, d’où partent, où aboutissent, les regards du cinéaste. Là, c’est le chômage, le travail de nuit quand la femme travaille le jour, la difficulté de vivre sans cesse augmentée, la terreur provoquée, puis la révolte, la prise de conscience politique et la lutte collective.
Par Cl. D.
(Extraits)
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