Nouri Bouzid
Quelqu’un a écrit sur les murs de la vielle ville de Sfax que « Farfat n’est pas un homme ». Ce tag délateur et infamant de la petite cité tunisienne, ou le dire culpabilise plus que le faire et ou le paraitre surpasse l’être, va ranimer des feux qui couvaient sous la cendre.
Hechmi et Farfat sont ébénistes, Touil est forgeron et Azaiez boulanger. Ils sont liés depuis l’enfance, enfance heureuse et délurée qu’ils partageaient avec Jako, leur voisin juif du quartier. Enfance laborieuse aussi, car il fallait très tôt faire quelque chose de ses dix doigts et gagner le pain de tous à la sueur de son front. Enfance tragique enfin, Ameur, le chef d’atelier de Farfat et d’Hachmi, abusait d’eux sans vergogne.
On ne sait à quoi attacher le plus de prix dans ce film exceptionnel : aux séances d’une beauté… aux moments de grâce sensuelle ou s’illuminent et se détendent les visages ombrageux et crispés d’Hachmi et de Farfat (Imed Maallal et Kahled Ksouri, jeunes comédiens prodigieux), à l’habileté des flash-backs qui insèrent l’enfance bénie/honnie dans le flou et les stridences de la mémoire... Peut-être que finalement notre préférence s’accorde à celle de l’auteur pour tous ces instants volés à un destin accapareur et niveleur. Plus que jamais la tendresse de Nouri Bouzid pour ses personnages se fait contagieuse.
…Le drame se déchaine. Farfat, fou d’ivresse et d’humiliation, se rue sur le respectable Ameur et lui plonge un couteau de cuisine dans le bas ventre. La police reviendra bredouille de sa poursuite. Comme un ragazzo de Pasolini, Farfat s’est volatilisé dans la nature. Un autre gamin, avec la même insolente casquette et la même combinaison de rebelle, fait un clin d’œil goguenard au public. L’enfance indomptable continue.
On se doute que ce film, sortie en 1986 en Tunisie pour un triomphale succès publique, eut maille à partir avec la censure encore très tatillonne. On y traitait de la masturbation, de la prostitution, du viol, de, la pédophilie, de l’homosexualité, de l’ivrognerie contingentée, du Samedi soir, de la violence physique et morale exercée par les parents, du recourt à la magie…
(Extraits) Par Revue
« Hommes et Migrations »