Salma Baccar
Selma Baccar avait-elle pour intention de prévenir contre la dépendance à la drogue ? Le pavot, kochkhach, a pourtant dans Fleur d’oubli un statut ambigu : à la fois dérive mortelle et soutien à l’affirmation de soi face aux normes imposées. Il n’est pas le seul : dans un asile où les fous sont à ce point ridiculisés qu’ils ne sont plus que des singes hystériques et grimaçants, la folie de Zakia se réduit à une simple amertume. Evoluant lui aussi au milieu des aliénés, Khémaïs, poète amoureux d’une plante, dénote lui aussi dans ce capharnaüm. Cela ne va pas sans radicalement décrédibiliser un film qui se donnait pour but de faire percevoir la désolation du corps quand la tendresse est absente. Mais là encore, la seule référence au désir et à la possession masculine comme structure de l’existence féminine affaiblit-elle la pertinence du personnage.
L’oubli de son nom par Zakia aurait pu être une piste mais elle est vite abandonnée, annulant son possible porté. De même, la solitude corporelle suggérée par les scènes de toilette ne trouve plus d’écho physique dans la suite du film en dehors de la plongée dans la dépendance puissamment illustrée lorsque Zakia boit avidement la tisane de pavot au milieu des flots.
Les récurrentes références historiques délivrées par la radio évoquent en écho à l’asile l’enfermement du pays, mais sans véritable relais dans la fiction, elles peinent à refléter l’étouffement souhaité. La construction en flash back achève de compacter dans le passé ce que le film aurait pu avoir de pertinence pour le présent.
La volonté de Zakia d’avoir une fille pour « l’éduquer à la liberté » ne débouche pas non plus sur une ampliation de ce thème, son rapport avec cette fille désirée étant dominé par sa dérive dans la drogue. En écho, l’indépendance de Zakia est bridée par sa dépendance vis-à-vis du désir masculin et de la drogue. Cette chute dans la drogue, loin d’être une mise en abyme révélatrice, construit un personnage dont la supposée liberté prend une connotation négative. L’ambivalence du scénario autant que les stéréotypes sur la folie affaiblissent ainsi singulièrement la portée de ce film fortement démonstratif. On voit ainsi mal Fleur d’oubli contribuer à sortir le récit des hommes de l’oubli et à renforcer les femmes dans leur détermination.
Par Olivier Barlet
(Extraits)
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