Salma Baccar
Le premier moyen-métrage réalisé par une femme fut Fatma 75, tourné en 1975, année internationale de la femme. Il fut intégralement réalisé par Salma Baccar, et présente l’originalité d’être un docu-fiction ; forme novatrice pour l’époque, et d’autant plus intéressante qu’il s’agit d’un véritable hommage à l’Histoire du féminisme tunisien. Comme pour la plupart des films réalisés de façon indépendante, « l’engagement social prime sur le sentimental ; c’est le monde le centre de gravité » (11), ou pour dans le cas tunisien, et le cas de ce film-là en particulier, c’est la Tunisie que l’on met au cœur et au croisement des réflexions. Sur une trame fictive, Fatma 75 présente de très nombreuses et précieuses archives sur l’histoire du féminisme en Tunisie.
Le principe du film est simple : une jeune étudiante en droit, Fatma, doit préparer un exposé sur le féminisme. L’artifice permet à la cinéaste de redonner corps et vie aux femmes les plus marquantes, tant de l’Histoire tunisienne que de l’indépendance berbère ; elle rend hommage aux hommes qui ont pensé la condition de la femme et qui ont permis de démocratiser les idées que le Code du Statut personnel finit par mettre en place en 1956. L’adoption de ce texte est d’ailleurs la troisième borne chronologique des recherches de Fatma, qui échelonne son travail sur trois générations, évaluant l’évolution de l’opinion populaire au sujet du statut de la femme.
Elle date la première vague de contestation féministe entre 1930 et 1938, date de la création de l’Union des Femmes Tunisiennes ; la seconde s’étend jusqu’en 1952, donnant ainsi un visage aux femmes qui ont lutté pour l’indépendance du pays ; la dernière tranche évoque le statut contemporain des femmes, qui ont, avec l’adoption du Code du Statut Personnel, bénéficié d’acquis incroyablement égalitaires pour l’époque.
La succession de séquences frictionnées et d’archives offre une forme originale, inédite à ce document. Censuré dans son pays jusqu’en 2006, le film a pourtant fait le tour du monde dès les années 1970 grâce à l’envoi dissimulé d’une copie à l’étranger. C’est la même copie qui a circulé pendant des années dans tous les festivals du monde ; symbole fort de l’indépendance des femmes tunisiennes, ce film est un appel à continuer la lutte, et fut toujours présenté comme un film phare de l’histoire du cinéma tunisien.
Par Mathilde Rouxel
(Extraits)
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