BAMAKO(Mauritanie) - JCC : 115 - 2006 min


Abderahméne Sissako




« La chèvre a ses idées mais la poule aussi ». Le paysan malien qui prononce cette phrase est à la barre des témoins d’un tribunal installé dans une cour d’un quartier populaire de Bamako, pour un procès qui oppose la société civile aux institutions internationales de la mondialisation, Fonds monétaire international et Banque mondiale en tête. Improbable construction ? Bien sûr, mais si pertinente qu’elle en devient crédible. Un débat trop intellectuel ? Comment oser penser que les gens simples ne comprennent pas ce qui s’y trame ? Manthia Diawara l’avait déjà montré dans son documentaire Bamako Sigi-kan (Le Pacte de Bamako) : les gens du peuple ne sont pas dupes, leur conscience est aiguë, leur réflexion sur le monde permanente. C’est à ce tribunal que nous assistons, où sera dénoncée la supercherie des pays du G8 qui clament leur bonne volonté par des remises de dette largement médiatisées alors que, pourtant amplement remboursée, elle continue de saigner des pays pris dans cet étau qui les empêche d’assurer les services sociaux. Tourné en vidéo et en plans fixes qui en accentuent le cérémoniel, le procès fait appel à de vrais juges et de vrais avocats qui ont été libres de construire leur propos. Ils en sont d’autant plus sincères et crédibles. En milieu de film, alors même que les avocats sont blancs et noirs dans les deux camps, un hilarant épisode de western-spaghetti mettant en scène aussi bien l’acteur Dany Glover que les cinéastes Elia Souleiman ou Zeka Laplaine rappelle par sa facture mimétique et burlesque Le Retour d’un aventurier de Moustapha Alassane mais résonne comme une illustration des interventions des institutions internationales. Ce sont bien des Noirs qui éliminent « l’instituteur en trop ». C’est lumineux, comme ce film superbement lunaire où les femmes sont les principaux moteurs, où chaque image a sa beauté propre et ses strates de significations. Au-delà de la conscience aiguë du drame africain, corps solitaire que ne vient renifler qu’un chien, un bol d’air est possible, si l’on installe les ventilateurs au bon endroit. Encore faudrait-il le faire : c’est à cette utopie qu’appelle ce film magnifique qui laisse des milliers de belles et profondes traces en chacun.

CRITIQUE : OLIVIER BARLET
(Extraits)

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