Souleymane Cissé
Enjeux interprétatifs de la féminité dans l’écriture de Souleymane Cissé:
Décrivant différents domaines de la vie en société, les films de Cissé montrent en effet que les femmes ont parfois des comportements assez inattendus. Le premier domaine concerné, c’est celui du travail. Dans Baara (1978), M’Batoma n’exerce aucune profession parce que son ingénieur de mari ne le veut pas — «par là, j’ai voulu indiquer que [l’ingénieur] n’était pas un héros positif», explique le cinéaste (Ruelle et Tournes, 1978, p. 30) — tandis que Djénéba, qui n’a pas fait d’études, dirige d’une main de fer un commerce florissant. Le second domaine, c’est celui 66 CiNeMAS, vol. 11, n° 1 du mariage. Djénéba semble avoir épousé un riche industriel malien afin d’asseoir son activité de commerçante; d’un autre côté, elle réserve son cœur à ses amants. D’un point de vue féministe, Farida Ayari la considère « comme l’un des personnages féminins les plus engagés du cinéma africain» (p. 183). Elle représente surtout une catégorie de femmes qui, ayant d’une certaine façon compris le mode de fonctionnement de la société dans laquelle elle vit, ne veut pas en supporter tous les inconvénients. Dans Finyé (1982), il est plutôt question de la polygamie et des problèmes qu’elle pose indubitablement aux sociétés africaines contemporaines : le film expose clairement cette question à travers des scènes de disputes entre les femmes de Sangaré ou entre le gouverneur et l’une de sts femmes. Je pourrais donc émettre l’hypothèse que cette conception du mariage n’est plus conforme aux désirs des femmes. Ce qui conduit finalement au domaine de la sexualité ou plus précisément, de Cinq Jours d’une vie (1972) à Finyé, à celui de la morale sexuelle. Néanmoins, ce dernier domaine renvoie toujours au rôle social des femmes. Il faut sortir d’une description de ce rôle pour percevoir dans les films de Cissé une dimension psychologique qui est généralement absente des cinémas africains. Cette dimension résulte d’une concentration du regard cinématographique sur les différents aspects de la vie sociale des femmes au quotidien. Dans Baara, l’usage du gros plan peut ainsi être lu comme décrivant les différentes étapes émotionnelles vécues par M’Batoma (la femme de l’ingénieur). Au niveau le plus dramatique de l’écriture cinématographique de Cissé, cet usage aboutit par exemple aux plans révélant son inquiétude sur le trajet de l’usine, pendant que son mari se fait assassiner.
Par Samuel Lelièvre
(Extraits)
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