Lmuja(Algérie) - JCC : 2015 - 37 min


Omar Belkacemi




Lmuja de Omar Belkacemi est une aventure du clair-obscur dans tous les sens du terme. Ses personnages sont d’abord des ombres, ombres d’eux-mêmes. Le ton est donné dès le prologue dans toute sa complexité au cours de ce lent plan fixe qui creuse dans le temps et imprime sur les murs des traces d’ombres et de lueurs. Tout prend l’allure d’un drame, d’une tragédie mais à bien y regarder, il y a une autre histoire que la lumière du film conte en amont.

Ombre est d’abord Mokrane qui suite à la fermeture des usines pendant la décennie noire perd son travail et ne trouve plus de quoi nourrir sa famille. Le mot « fantoche » est prononcé dans le témoignage du gardien d’une société dévastée. Il est interviewé par Redouane venant d’ailleurs enquêter sur une crise économique laissée longtemps hors-champ. La mise en avant du terrorisme sanguinaire immédiat a mis de côté ses répercussions économiques et existentielles désastreuses sur des familles qui en souffrent jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à l’ère des nouvelles révolutions. L’ombre, c’est aussi le libéralisme économique qui pèse par son omniprésence à travers ce lent et long travelling sur les conteneurs du port où la caméra finit par trébucher sur un paquet de Marlboro surement pas par hasard. Plan subjectif, regard lucide de Redouane menant son enquête. Mais détrompez-vous, l’ombre, tenue à distance, imprègne progressivement le journaliste à l’œil observateur dont le regard clairvoyant est nuancé voire assombri par un ami à la sortie du bar lui reprochant de mal voir quand ce dernier conseille d’occuper l’espace public au lieu d’enfermer le politique dans les bars. Lumière borgne, regard partiel, pour bien voir il faut être sur place en Algérie.

La force du point de vue qu’offre Lmuja est dans sa subtilité et dans son côté insaisissable. Le nœud se serre, se complique entre crise économique, traditionalisme et mauvaise foi du marché économique. La séquence du bar le condense bien. On ne sait où se situe le cinéaste sinon dans ces interstices entre ombres et lumières, dans la lueur de l’espoir comme appel. Il ne fait que montrer le nœud, « mettre en lueurs » comme en poésie, montrer, laisser le propos se cristalliser en langage lumineux ; Jean Cocteau le disait bien, au cinéma l’encre c’est la lumière.

Par Sihem Sidaoui
(Extraits)

sihemsidaoui.blogspot.com